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Quoi ! Comment ! La langue des jeunes !

 

Écrit avec Karima Younsi, paru dans Bien ou quoi? La langue des jeunes à Ivry et Vitry-sur-Seine, avril 2004

 

 

Agressive, grossière, machiste !… Ce ne sont pas les qualificatifs qui manquent pour parler de la langue des jeunes. Popularisée notamment par le rap, il advient qu’elle provoque pincements de nez ou reculs d’horreur. Elle sent le soufre et c’est précisément pour cela qu’elle intrigue, qu’on vient s’y frotter. Cependant, elle ne mérite pas davantage d’être vouée aux gémonies que d’être portée aux nues…

De l’argot à la langue des jeunes

Il fut un temps où l’argot, à l’origine « le jargon du royaume d’Argot », c’est-à-dire la langue des voleurs, était classé dans le « bas », le « mauvais langage ». C’est ainsi qu’un certain Étienne Molard à l’égard duquel la postérité s’est montrée d’une redoutable ingratitude, commettait, en 1805, un Dictionnaire grammatical du mauvais langage ou Recueil des expressions et des phrases vicieuses usitées en France, et notamment à Lyon. Nous sommes à l’aube d’une époque où fleurissaient des dictionnaires d’argot. L’intention de départ était de mettre en garde les gens du monde contre les voyous[1]. C’est dans les Mémoires de Vidocq, parues en 1827, et dans Les voleurs, publiés en 1837, où l’ex-bagnard devenu chef de la brigade de sûreté de la préfecture de police, consacre à l’étude de l’argot une partie de son livre, qu’Eugène Sue et Victor Hugo puisent copieusement pour faire parler le peuple des bas-fonds. La société se prend alors au jeu. Les bourgeois s’encanaillent en s’initiant à l’argot. On découvre que l’argot offre des trésors qui ne sont pas l’apanage de la langue soutenue. D’éminents linguistes se penchent sur lui et le dissèquent, d’autres relèvent sa créativité. L’intérêt pour le jargon des voleurs s’étend alors à tous les jargons, ceux des métiers comme les bouchers ou les typographes, ceux des écoles dont bien des cocasseries passent dans la langue commune, et ceux des armées, qu’il s’agisse des troupes coloniales ou des poilus de la Grande Guerre.

Ainsi se développe une littérature policière et populaire féconde qui, puisant abondamment dans l’argot et dans toute la gamme des jargons, enrichit le dictionnaire de mots nouveaux : sait-on par exemple que loufoque, que beaucoup utilisent aujourd’hui sans soupçonner le moins du monde son origine jargonesque, vient de la langue des bouchers de la Villette, le largonji des louchebem ? La méthode consiste à remplacer la première lettre du mot par un –l et à la renvoyer à la fin du mot additionnée d’un suffixe fantaisiste : ainsi jargon donne largonji et boucher devient louchebem… Et ceux qui usent du terme laïus par lequel la langue familière désigne un discours long et verbeux, ont-ils jamais songé qu’il s’agissait d’une référence mythologique au père du malheureux Œdipe, consignée par le jargon de l’école Polytechnique ?

Le même phénomène se produit aujourd’hui avec la langue des jeunes. D’abord considérée comme une curiosité, elle a pris corps et s’est développée, et elle s’est largement déversée dans le français familier puis dans le français courant. Elle ne peut d’ailleurs renier une certaine filiation avec l’argot classique, laquelle ne se manifeste pas seulement par la reprise de termes un temps éclipsés comme daron pour « parent ». Cet héritage est surtout manifeste dans le nouvel essor du verlan, comme cela fut révélé dans un album du chanteur Renaud, paru en 1978, intitulé « Laisse béton ! ». Dans cette langue, l’ordre des syllabes est inversé de telle manière que l’envers devient verlan, non parfois sans quelque modification orthographique due à des coquetteries de langage. Les voleurs l’employaient au siècle dernier pour ne pas être compris des flics et des bourgeois. Pratique aujourd’hui de plus en plus courante, le verlan sert aux jeunes à se distinguer des adultes : fou n’est plus loufoque comme dans le largonji mais devient ouf.

Langue des cités, langue des jeunes

On parle volontiers aujourd’hui de langue des cités et de langue des jeunes en créant la confusion entre ces notions et en mettant dans le même sac tous les jeunes, quels que soient leurs parcours sociaux et culturels. Pourtant, nombre d’entre eux répugnent à parler la langue des cités et ne la comprennent même pas. De plus, tous les jeunes ne sont pas des « jeunes de banlieues », encore moins des « sauvageons » ou des « petits caïds de bandes de cités », comme le suggère l’image fabriquée par le besoin qui pousse la société à se faire peur à bon marché…

Nous trouvons en fait ici, à une extrémité de l’éventail des registres de la parole auxquels les jeunes ont recours dans leur expérience sociale, des parlers des quartiers et en particulier ceux des quartiers de banlieues que l’on nomme « cités », cela par une curieuse inversion de sens, si l’on songe qu’ils se sentent précisément au ban de la Cité… Ces quartiers et

 

Tourne-moi, si tu veux pas m’voir en verlan !

ces cités mettent en contact des populations nourries de cultures différentes. Ils fonctionnent par conséquent comme des creusets où s’amalgament des éléments de langues de nombreux pays, en premier lieu celles des pays du Maghreb et d’Afrique noire ou le créole. Cela sans parler du tzigane qui, comme nous aurons l’occasion de nous en rendre compte, est présent dans la langue des jeunes d’aujourd’hui comme dans l’argot d’hier. La pratique du métissage langagier, propre aux familles dont les aînés ont immigré, projette hors du cercle familial mots et expressions qui se répandent dans le quartier. Il existe donc des parlers de quartiers et de cités. Certains caractères sociologiques et culturels sont communs à de nombreuses cités de banlieues : par exemple la forte proportion de populations arabophones, ce qui rend tout à fait communs les emprunts lexicaux arabes dans les parlers des cités. Mais pour importants que soient ces caractères communs, ils n’en font pas de ce qu’on appelle la langue des cités, qui recouvre l’ensemble de ces parlers, une véritable « langue inter-cités ».

En fait c’est ailleurs que se créée cette « inter-langue ». Les jeunes qui pratiquent ces parlers sont en effet aujourd’hui tous scolarisés, mélangés à des jeunes d’autres quartiers. Ils s’éprennent des mêmes films et des mêmes modes musicales, suivent les mêmes émissions de radio et de télévision. Tout cela favorise la fusion des éléments culturels portées par des populations variées, incorporant ceux qui viennent d’outre-Méditerranée et qui se communiquent de ce fait aux jeunes de famille purement francophone. Ces jeunes parlent ainsi dans une langue populaire constamment soumise aux intrusions des parlers locaux et professionnels, en même temps qu’une certaine parenté de situation développe chez eux les tendances identitaires propres à tout jargon. Ils sont à l’âge où l’on doit se distinguer des parents et des aînés, à l’école comme dans la ville et, plus généralement, des adultes dans la société. Il existe bel et bien une langue des jeunes parfaitement identifiable. Elle fonctionne com-me langue de communication de tous les jeunes, avec ses variantes locales et ses nuances sociales, certaines plus classes moyennes, d’autres plus ouvrières, mais dont la forte exposition à la langue des cités accentue la coloration nettement populaire. Il en est naturellement ainsi de la langue des jeunes à Ivry et Vitry.

Distincte de la langue courante et commune, celle que parlent par exemple les animateurs de la radio et de la télévision, elle la nourrit pourtant en permanence. Elle est bien sûr très éloignée de celle à laquelle se propose de les faire accéder l’école, celle qui s’efforce d’être la langue soutenue, qui tend à ressembler au parler cultivé utilisé par la couche de la société qui jouit du prestige intellectuel, celui qui sert de référence et de norme, surtout dans sa forme écrite.

Une langue codée

Comme tout jargon, la langue des jeunes est codée. Tout groupe social possède un code. Or ce phénomène est particulièrement important chez les jeunes, précisément à l’heure où se forme la personnalité, où l’on prend ses propres repères dans la société.

Prenons les jurons, les vannes et les insultes. Leur importance frappe tant ils rythment, dans la rue comme à l’école, la langue des jeunes. On oublie vite cependant que les adultes, pas que les jeunes, ne méprisent les jurons comme le prouve le succès connu en son temps par La ronde des jurons de Georges Brassens. On met volontiers l’accent, dans ces pratiques, sur la marque d’une hostilité vis-à-vis de l’Autre alors qu’elles remplissent bien d’autres fonctions. Elles peuvent en effet ponctuer un énoncé, elles servent surtout à lancer un défi théâtralisé lorsqu’il s'agit d'autoriser ou de refuser l’entrée d’un nouveau venu dans un certain univers. Ainsi, la vanne est l’objet d’une mise en scène. Elle se voit stimulée par un public en attente de performance et de spectacle. Celui-ci saluera les compétences linguistiques, humoristiques et poétiques de son auteur, mais aussi ses audaces dans la transgression verbale des codes fixés par la société, notamment l’école. Souvent enseignants et adultes en contact avec les jeunes ne s’aperçoivent pas qu’ils sont en train de subir, bien malgré eux, une telle épreuve rituelle, ce qui n’est pas sans entraîner de sérieux malentendus et parfois des drames. Le recalé, la victime sera frappée par la sentence sans recours : la hachma, la « honte », le « déshonneur » !

Des mots qui se portent en insigne

La hachma renvoie, à côté d’une fonction ludique dont nous parlerons plus loin, à une fonction d’iden-tification qui s’enracine dans une réalité connue : la malvie, la dureté des rapports sociaux, l’univers fermé, l’avenir bouché, les rêves saccagés, la violence à fleur de peau. Tout cela fait la difficulté d’être jeune et celle d’être, tout simplement. Or ces maux sont aggravés pour les couches sociales dont l’installation est la suite des aventures impériales des siècles derniers. Ces familles sont venues du Maghreb, d’Afrique Noire, des Antilles ou de pays d’Asie. La plupart d’entre elles n’ont fait que suivre les chemins ouverts hier par les rapports coloniaux, les habitudes administratives, les voies de communications et la familiarité avec la langue française. Tous les chemins les ont menées vers l’Hexagone. Elles ont été poussées par une pesan-te inertie de l’Histoire vers nos contrées où leurs habitudes culturelles détonent et suscitent souvent de l’appréhension, parfois du rejet, quoi qu’il leur en coûte d’efforts et de sacrifices pour s’insérer dans la société. Cela concourt à aggraver leur marginalisation sociale et, bien trop souvent, leur exclusion. Cela explique également le fait que les quartiers et cités populaires soient très fortement imprégnés d’héritages des anciennes colonies, ce qui confère à l’univers de « la galère » des traits culturels originaux.

Cette galère vécue comme identité se transmet à partir du cercle familial dans l'espace de la rue et de l'école avec et contre les pairs. De cette façon, ce qui est vécu par la société comme objet de crainte et dénoncé par elle comme marginalité voire refus de s’intégrer, est assumé et revalorisé, arboré comme insigne. Et cela se traduit naturellement dans le langage. Les Autres me traiteront-ils de racaille ? Les Miens parleront de moi comme d'une caillera, non sans un sifflement d'admiration, voire de fascination. Et plus ils me reconnaissent comme caillera, comme quelqu’un qui porte l’aura de la transgression, qui permet à la jeunesse de toucher du doigt ses limites dans la société, plus on me reconnaît, tout simplement. Les modèles sont ceux que propose une culture urbaine internationale : dans le cinéma, nul n’ignore Tony Montana, le célèbre Scarface, ce qui explique l’abondance des emprunts lexicaux à l’anglo-américain ; dans le rap, particulièrement, chez les jeunes d’Ivry et Vitry, on écoute le groupe 113 ou le collectif Mafia K’1Fry.

Il y a assurément de la violence dans la galère et il serait surprenant de ne pas la retrouver dans la langue. Mais la référence à cet univers se sublime en langage de l’imaginaire. Forcer le trait est bien ordinairement la seule manière de se faire entendre dans la Cité, surtout dans les médias. Or, comme ceux-ci réclament du spectaculaire, on va leur en donner ! Comme le cri de la galère passe par le hard rock, le rap ou d’autres expressions musicales, qui sont spectacle par excellence, accéder aux feux de la rampe et toucher le public exige une véritable mise en scène : la galère devient un style, un mode d’expression obligé et même, pour certains, un fonds de commerce. Il faut donc décoder. Il est indispensable de repérer la sincérité de l’appel, la fraîcheur du cri sous l’habit de rigueur de l’exagération, sous le travestissement des inévitables autojustifications et derrière le tapage assourdissant du médiatique.

Tout cela confère à la langue des jeunes un tour souvent agressif, d’ailleurs renforcé par des traits purement linguistiques. L’élément culturel maghrébin n’est en effet pas seulement repérable ici par l’importance des emprunts lexicaux mais également par des caractères qui ne se laissent pas saisir dans la langue écrite, à savoir l’accent et l’intonation. Le raccourcissement des mots par chute des voyelles non accentuées, l’intensité de l’accent tonique mis sur la dernière syllabe, la tendance à emphatiser de nombreuses consonnes, l’usage répété des phrases exclamatives, tout cela renforce l’impression de langue agressive et violente…

 

 

 

Un peu de ce cher Hugo…

[…]

Qu’est-ce que l’argot? C'est tout à la fois la nation et l’idiome; c’est le vol sous ses deux espèces, peuple et langue.

Lorsqu’il y a trente-quatre ans, le narrateur de cette grave et sombre histoire introduisait au milieu d’un ouvrage écrit dans le même but que celui-ci un voleur parlant argot, il y eut ébahissement et clameur. – Quoi ! comment ! l'argot ! Mais l’argot est affreux ! mais c’est la langue des chiourmes, des bagnes, des prisons, de tout ce que la société a de plus abominable ! etc., etc., etc.

Nous n’avons jamais compris ce genre d’objections.

Depuis, deux puissants romanciers, dont l'un est un profond observateur du coeur humain, l’autre un intrépide ami du peuple, Balzac et Eugène Sue, ayant fait parler des bandits dans leur langue naturelle comme l'avait fait en 1828 l’auteur du Dernier jour d'un condamné, les mêmes réclamations se sont élevées. On a répété : – Que nous veulent les écrivains avec ce révoltant patois ? l'argot est odieux ! l’argot fait frémir !

Qui le nie ? Sans doute.

Lorsqu’il s’agit de sonder une plaie, un gouffre ou une société, depuis quand est-ce un tort de descendre trop avant, d'aller au fond ? Nous avions toujours pensé que c'était quelquefois un acte de courage, et tout au moins une action simple et utile, digne de l'attention sympathique que mérite le devoir accepté et accompli. Ne pas tout explorer, ne pas tout étudier, s’arrêter en chemin, pourquoi ? S’arrêter est le fait de la sonde et non du sondeur.

[…]

Victor Hugo, Les Misérables, livre septième : « L’argot », 1862.

 

 

Il en est de la grossièreté comme de da violence. La grossièreté existe, c’est indiscutable. Mais elle n'est pas l’apanage des jeunes des cités.  Les  gens  cultivés qui sont aujourd’hui nos médecins, les dirigeants de nos entreprises publiques ou privées, nos sénateurs et nos ministres, nos professeurs et nos intellectuels, sont hier passés par les facultés ou les grandes écoles. Bien que pétris de belle langue, bon nombre d’entre eux ne se sont-ils pas égosillés, dans leur jeunesse, en entonnant les chansons de corps de garde les plus grossières et les plus machistes, et ce dans le but d’effrayer le bourgeois ? Ce qui est vrai de la grossièreté l’est encore plus de la virilité ostentatoire et de la misogynie ou de l’ethnicisme. Personne ne nie ces traits. Mais ils sont loin de caractériser la langue des jeunes.

Certes, il est des jeunes qui porteront ces caractères comme des œillères, qui en resteront prisonniers. Mais, fondamentalement, ces traits fonctionnent comme un langage qui répond à un besoin d’identité et qui s’accomplit sur le mode de la théâtralité et de l’hyperbole. Ils sont partie intégrante du jeu, c’est-à-dire de l’initiation sociale. Voici ce que dit Abdellatif Kechiche à propos de son film L’esquive qui nous immerge dans l’univers d’un petit groupe de jeunes d’une cité conduit par son professeur de français à jouer Les jeux de l'amour et du hasard de Marivaux : « Je voulais démystifier cette agressivité verbale, et la faire apparaître dans sa dimension véritable de code de communication. Une sorte d’agressivité de façade qui cache bien souvent de la pudeur, et même parfois une véritable fragilité, plus qu’une violence à proprement parler »[2]. La langue des jeunes n’est pas exclusivement affectée des tares dont on veut bien la charger. Elle est marquée d’une ambiguïté fondamentale qui vient de sa fonction d’identification et qu’il s’agit de prendre en compte. Et elle porte aussi en elle des valeurs de compagnonnage dans la galère, de fraternité, des exigences de liberté, d’égalité et de justice que l'on veut trop souvent ignorer.

Des mots pour jouer

La langue des jeunes possède une deuxième fonction, inséparable de la première, une fonction créative et ludique indéniable. Plus précisément, c'est dans le jeu que s’explore l’identité et se fait l’apprentissage des limites dans la vie sociale.

La langue populaire fonctionne comme forge langagière et apporte même sa contribution à la littérature. François Villon, un des nos grands poètes nationaux, étudiant espiègle et libertin, voleur et assassin devant l’éternel, et pour ces chefs d’accusation condamné à la prison et à la corde, ne nous offrit pas seulement de gracieuses ballades en « bonne et belle langue françoise » comme les Dames du temps jadis, il produisit aussi des poèmes dans le jargon des coquillards, ces voleurs de grand chemin avec lesquels il s’acoquina dans son bannissement, ou dans celui des jobelins, les gueux et les étudiants du quartier Maubert qui fut sa patrie. Notons d’ailleurs que les étudiants de l’époque s’associaient déjà, dans leur esprit de fronde et de transgression, à l’univers de la canaille et prenaient plaisir à en emprunter l’idiome…

Dans le verlan moderne, cousin est zincou avant d’être tronqué en zinc. Le côté ludique de la langue des jeunes, qui s’épanouit largement dans les cours d’école, est propre à tous les jargons, surtout ceux des étudiants parfois appelés « argots d’écoles », qui se sont toujours révélés très inventifs et souvent jubilatoires. Et comme cet idiome est création permanente, que l’on joue avec les mots, que l’on tourne et les retourne ces derniers sur sa langue avec délice comme des friandises, c’est à celui qui étonnera les autres, trouvera quelque chose d’inédit. Quand lascar devient scarla, son féminin scarlette pourra se muer, dans la bouche d’un spectateur d’Autant en emporte le vent, en Scarlett O’Hara !

La langue des jeunes excelle dans les procédés de création langagière familiers de la langue populaire et s’en délecte. On tronque les mots, fait tomber la syllabe finale : le contrôleur devient leur, ou la syllabe initiale : le professeur devient prof [3]. Et l’on ajoute des suffixes aux mots[4], leur devient leurleur, black devient blackos, procédé qui s’étant d’ailleurs aux mots raccourcis ou passés au verlan. Cela entraîne d’ailleurs l’habitude neuve de transformer les verbes en mots invariables qui échappent à la conjugaison.

Et n’oublions pas le délire orthographique auquel conduit la mode récente du SMS, encore dit texto, qui consiste à écrire de façon phonétique. On note par exemple A+ pour dire À plus (tard), K1 fry pour cain-fri, qui est le verlan de africain. L’influence de l’anglais se fait même sentir dans l’écriture phonétique : on écrira ainsi 2bab pour Toubab.

Dans ce recueil, les jeunes ont lâché la bonde à leur spontanéité, ont tiré la langue dans ce qu’elle présente de plus ludique en évitant généralement ses côtés les plus agressifs. Le résultat prend souvent des tours très drôles. Nous espérons que le lecteur éprouvera le même plaisir que nous avons trouvé à sa confection.

 

R. L. & K. Y.

 

NOTES

[1] Voir le Dictionnaire d'argot, ou Guide des gens du monde, pour les tenir en garde contre les mouchards, filous, filles de joie et autres fashionables et petites maîtresses de la même trempe par un Monsieur comme il faut, ex-pensionnaire de Sainte-Pélagie, 1827, ou le Dictionnaire de m l'argot, ou la langue des voleurs dévoilée, contenant les moyens de se mettre en garde contre les filous, 1848.

[2] Cité par www.commeaucinema.com.

[3] Quand la syllabe initiale tombe, les linguistes parlent d’aphérèse, et d’apocope quand il y a chute de la syllabe finale.

4] Les linguistes parlent alors, selon les cas, de suffixation ou de resuffixation.

 

 

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