HOMMAGE À :

 

 

 

 

 

Maxime Rodinson

 

 

 

Dernière mise à jour le mardi 25 novembre 2008

         

 

Au sommaire de la page:

 

* Hommage dans notre Bulletin n° 4

 

 

Hommage dans notre Bulletin 4

 

Hommage à Maxime Rodinson

 

Maxime Rodinson s’est éteint le 26 mai 2004 à l’âge de 89 ans. Son intérêt pour le voyage de mots entre les deux rives de la Méditerranée a toujours été très vif. C’est en mettant en lumière cette préoccupation qui rejoint précisément celles de la Selefa que nous tenons à rendre hommage à la mémoire de ce linguiste, historien et penseur re-marquable. La présente note parut dans les Comptes rendus du Glecs, t. V, 1948-1951, p. 3. Nous tenons à remercier la Rédaction de cette publication[1] et la Librairie Orientaliste Paul Geuthner qui ont eu la bienveillance de nous autoriser à la rééditer.

La Rédaction

Quelques emprunts arabes

dans les langues romanes au Moyen-Âge

Maxime Rodinson, Directeur d’Études honoraire à l’EPHE (décédé)

Il y a profit à étudier les emprunts de vocabulaire par catégories sémantiques en connexion avec l’histoire de la civilisation. Le vocabulaire européen emprunté à l’arabe au Moyen-Âge devrait être examiné de nouveau de cette façon. Cette méthode permet ainsi de déceler les « calques » qui sont plus nombreux qu’on ne le croit, particulièrement dans le vocabulaire scientifique.

L’examen du vocabulaire de l’alimentation permet ainsi de retrouver divers emprunts corrélatifs à l’influence de la cuisine princière arabe sur la cuisine princière d’Europe aux XIIIe et XIVe siècles, particulièrement en Italie. Les livres de cuisine italiens du XIVe siècle contiennent des recettes de plusieurs plats arabes portant des noms arabes : romania < ar. rummānÌya « plat de viande à la grenade »[2], sommachia < ar. summāqÌya « plat au sumac », limunia < ar. laymūnÌya « plat au citron ». L’identité des mots arabes et italiens est prouvée par le fait que ceux-ci se retrouvent tels quels dans la traduction partielle du traité de diététique d’Ibn Ğazla par Jambobinus de Crémone (ms. Bibl. Nationale, fonds latin, n° 9328).

Certains faits nous suggèrent des indications sur les voies de pénétration de cette influence. Deux traités culinaires copiés aussi sur le manuscrit cité ci-dessus (qui d’ailleurs a passé de la bibliothèque des rois angevins de Naples à celle des Valois à Paris) se retrouvent dans le manuscrit n° 7131 du même fonds qui fut transcrit en France et contient aussi le texte du plus ancien livre de cuisine connu en français. D’autre part, trois vers de Dante (Inf., XXIX, 127-9)[3] ont attiré l’attention sur les cercles italiens où sont nés les livres de cuisine cités ci-dessus. La recherche d’un genre de vie fastueux et élégant y a conduit à des innovations culinaires empreintes d’exotisme. ■

Maxime Rodinson

 

 

Éléments bibliographiques :

Les remarques que nous republions dans le Bulletin s’inscrivent dans une série de travaux sur l’art culinaire arabe accompagnés de recherches, observations et commentaires précieux sur l’étymologie, dont voici une première liste, non exhaustive :

1. « Recherche sur les documents arabes relatifs à la cuisine », Revue des études islamiques, t. XVII, année 1949, p. 95-165, qui existe en tiré à part ;

2. « Romanía et autres mots arabes en italien », Romania, n° 71, année 1950, p. 433-449 ;

3. « Sur l’étymologie de losange », Studi orientalistici in onore di Giorgio Levi della Vida, Roma, 1956, t. II, p. 425-435 ;

4. « Un nouveau terme culinaire arabe en Occident » dans les Comptes Rendus du GLECS, t. VII, 1957, p. 101-102 ;

5. « La ma’muniyyat en Orient et en Occident », Études d’Orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-Provençal, t. II, Paris, 1962, p. 733-747 ;

6. « Les influences de la civilisation musulmane sur la civilisation européenne médiévale dans les domaines de la consommation et de la distraction : l’alimentation », Oriente e occidente nel medioevo : filosofia e science, Roma : Accademia Nazionale dei Lincei, 1971, p. 479-499.

Les articles n° 2, 3 et 5 furent traduits en anglais dans Petits propos culinaires, Londres, n° 23, 33 et 34, et repris, avec la trad. du n° 1 et à côté d’une contribution de Charles Perry accompagnée de la rééd. de « A Baghdad Cookery Book », Islamic Culture, vol. XIII, n° 1, 1939, d’Arthur John Aberry, dans Medieval Arab Cookery. Essays and translations, préf. Claudia Roden : Prospect Books, 2001. Paraissait il y a plus de vingt ans Le Cuisinier et le philosophe : hommage à Maxime Rodinson, Études d’ethnographie historique du Proche-Orient réunies par Jean-Pierre Digard, Paris : Maisonneuve et Larose, 1982[4]. Il va sans dire que cet ouvrage mérite bien son titre… ■


 

[1] Nous avons une dette toute particulière envers Antoine Lonnet pour sa précieuse contribution aux commentaires et à la bibliographie qui accompagnent cette réédition.

[2] Notons à ce propos que l’ar. rummāna, « grenade », a également donné son nom a la balance dite romaine dont le nom n’est pas dû au fait qu’elle nous viendrait des Romains mais à la ressemblance avec le dit fruit du poids-curseur de cette instrument, comme l’ont établi Arnald Steiger et Walther von Wartburg, in « Balance romaine », Vox romanica, t. XXV, 1960, p. 221-242. L’usage du lat.m. romanum est attesté à Bologne, 1227 (cf. DEI, s.v. « romana »). On trouve ensuite l’ital. romano et romana pour ce type de balance avant la fin du XXIIIe s. : « romano ‘contrapeso della stadera’ (Saccheti, e. a. 1288 …cantaraia et romana… negli Stat. di Albenga, Rossi, Gl. lig. p. 88, e vedi App. p. 193 : stateram unam cum romana… negli Stat. di Oneglia) » (cf. Pellegrini, Arab., p. 109-110). En France, a.prov. romá à Albi, 1360 ; romana, ca 1400, dans l’Hérault, m.fr. romaine, ca 1450 (FEW, p. 148).

[3] Ces vers sont les suivants, replacés dans leur contexte :

Onde l’altro lebbroso, che m’intese,

rispuose al detto mio: “Tra’mene Stricca

che seppe fa le temperate spese ;

e Niccolò, che la costuma ricca

del garofano prima discoperse

nell’orto dove tal seme s’appicca ;

e tra’ne la brigata in che disperse

Caccia d’Ascian la vigna e la gran fronda,

e l’Abbagliato suo senno proferse.

Sur quoi l’autre lépreux, qui m’entendit,

me répliqua : “Exceptes-en l’Estriche,

qui dépensait, mais si modérément !

et Nicolas, si prompt à découvrir

l’onéreuse coutume de la girofle

dans le jardin où germe cette graine !

et la bande avec qui Cache d’Aissan

sut dissiper sa vigne et tout son fonds,

et l’Ébloui briller par le bon sens !

Pour le texte en italien, voir Dante Alighieri, La divina Commedia, commento a c. Daniele Mattalia, t. I : Inferno, Milano: Rizzoli, 1980, p. 585-586). La trad. est de Marc Scialom, in Dante, Oeuvres complètes, sous la dir. de Christian Bec, Paris: Lib. gén. fr., 1996, p. 718. Pour les uns, Niccolò était le frère de Stricca de Salimbeni, dont Dante parle précédemment dans le passage cité et qui fut podestat de Bologne en 1276 et 1286. Pour d’autres, il était de la famille Bonsignori. En tout état de cause, selon Jacopo Della Lana qui fut, en 1324-1328, le premier commentateur en langue vulgaire des trois chants de la Divine Comédie, Niccolò était généreux voire prodigue, et on lui attribue l’usage d’épicer de clous de girofle les faisans et les perdrix.

[4] Pour une bibliographie substantielle des travaux de Maxime Rodinson, voir Les Mélanges linguistiques offerts à Maxime Rodinson par ses élèves, ses collègues et ses amis, édités par Christian Robin, Paris : Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1985.

 

 

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