*
Cette fiche est constituée à partir d’une intervention de SELEFA au lycée jean
Macé, Vitry-sur-Seine, le 4 mars 2002 dans le cadre de l’action pédagogique
intitulée, « les mots, trem-plin pour la connaissance des civilisations ».
* Elle
a servi de thème à une édition de l’émission
Karambolage,
ARTE, qui devrait passer début 2009.
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Le long voyage du chèque
Ce petit bout de papier qu’on appelle chèque va
bientôt disparaître, victime des technologies modernes. Il y a fort
à parier que, très vite, le mot passe aux oubliettes avec la chose.
Dépêchons-nous donc, tant qu’il reste présent dans nos mémoires, de
conter son étonnant voyage…
Le chèque est né dans l’Angleterre du XVIIe
siècle où les banquiers ont appelé check ce nouvel instrument
financier. Pour en rendre l’usage plus sûr, ils ont soumis sa
création et sa circulation à de nombreux contrôles. Il était tout
naturel que le mot check signifiant justement « contrôle » se
communique à l’innovation. Puis l’orthographe a changé en cheque.
Quant au mot check que l’anglais utilise pour dire
« contrôle », il dérive à son tour d’une expression française,
mettre en échec : on peut en effet mettre en échec des gens
malveillants en contrôlant la qualité de leurs engagements.
Et ce mot échec, il ne vous dit pas quelque chose ?
Bien sûr, il est puisé dans le vocabulaire du jeu bien connu où l’on
s’exclame « échec ! » lorsqu’on s’attaque à la pièce maîtresse, le
roi. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’appelle le jeu d’échecs.
Remontons encore le fil du temps. Pour arriver dans
nos contrées, le jeu d’échecs a franchi les Pyrénées au XIe
siècle sous la forme du latin scaccus. Il avait été introduit en
Espagne par les Arabes qui l’avait appris des Perses, lesquels
l’avaient eux-mêmes hérité des Indiens.
Rien d’étonnant que le jeu ait conservé la marque de
ce long périple ! On sait que le roi de Perse était le shah. Par
l’entremise des Arabes, ce mot qui est devenu le latin scaccus. Puis
il s’est décliné dans toutes les langues européennes. C’est donc le
persan shah qui se cache derrière les mots échec et chèque.
Mais au fait, comment dit-on chèque en persan ? Tout
simplement tchek, exactement comme on le prononce en anglais !
Ainsi, à la manière du saumon qui, après avoir nagé vers la mer et
traversé l’océan, a remonté la rivière où il est né, le mot est
retourné vers sa source…
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En remontant à la source du
mot
chèque

Présentation au roi Chosroès
Anushirvān du jeu d’échec importé récemment d’Inde dans le
Shāh nāma de Ferdawsī. |
Chèque :
mot français, moyen de paiement
<<<
check :
mot anglais, >>> anglais
cheque,
sous l’influence du français
<<<
to check :
mot anglais « vérifier, contrôler »,
<<<
échec
(faire échec à) : mot français <<< expression échec (jeu d’),
<<<
échec et mat :
expression française, du jeu d’échecs
<<<
eschac mat :
vieux français (1080)
<<<
مات
الشاه
al-shâh mât :
expression arabe du jeu d’échecs :
al-shâh
(prononcé
esh-shâh)
= le roi +
mât = est
mort, l’arabe étant lui même une interprétation du persan
shâh ma-dan
= le roi est immobilisé [incapable de
s’en aller]
<<<
shâh :
mot persan pour « le roi ».
<<< traduction du mot sanscrit
raja « roi » dans le jeu de
chaturanga
Nota bene :
l’anglais cheque est
aujourd’hui revenu chez les Arabes sous les formes شك
shik et
شيك
shîk, pl.
شكات
shikât
et شيكات
shîkât.
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Petite histoire du
jeu
d’échecs
1. Au départ, un jeu
de guerre
* En
Inde
Comme son nom l’indique,
le caturanga est un jeu
martial, puisqu’il
désigne quatre (catur,
prononcé tchatur) corps d’armée
comportant des chars, des éléphants, des chevaux et des fantassins,
et il se joue probablement à quatre.
|
La légende de
Sissa
En Inde, on raconte que le
roi Belkib cherchait à tromper son ennui. Il
promit une récompense exceptionnelle à qui lui
proposerait une distraction qui le satisferait.
Lorsque le sage Sissa lui présenta le jeu de
chaturanga, le roi, enthousiaste, demanda au
sage ce qu’il
souhait comme récompense. Sissa demanda au
prince de déposer un grain de blé sur la
première case, deux sur la deuxième, quatre sur
la troisième, et ainsi de suite
jusqu’à ce que toutes les cases de
l’échiquier soient remplies, ce que le roi
accorda
immédiatement, pensant
cette récompense de peu de prix.
Mais il apprit vite que ce
faisant il se ruinait : en effet, sur la
dernière case de l’échiquier,
il faudrait déposer 263 graines, soit
plus de neuf milliards de milliards de grains (9
223 372 036 854 775 808 grains précisément), et
y ajouter le total des grains déposés sur les
cases précédentes, ce qui fait un total de 18
446 744 073 709 551 615 grains (la formule de
calcul est alors 264-1) !
|
* En
Perse
Passé chez les Persans qui nous ont laissé un remarquable
catrang
nameh
(prononcé :
chatrang
namé)
ou
«
traité du jeu d’échecs
», au début du
VIIè siècle, il a déjà été simplifié
puisqu’il
se joue à deux.
Les règles du
catrang étaient assez similaires à celles du jeu d’échecs
que nous connaissons. Il se jouait sur un plateau de |
 |
64 cases, alternativement
blanches et noires, avec des pièces qui nous seraient
familières. Leur nom était basé sur les formations
militaires de l’époque. Il y avait:
* les
fantassins, les pions,
*
les éléphants, aujourd’hui
les fous, les cavaliers,
* les chariots devenus les
shah rukh, ou « champions du roi », aujourd'hui les tours,
* le ministre (aujourd’hui la
reine)
* et le roi. Lorsque les Perses adoptèrent ce jeu, ils
appelèrent la dernière pièce
šāh,
et la partie se terminait par les mots
šāh
ma-dan « le roi
est immobilisé, cerné », à l’origine
de l’expression « échec
et mat ».
|
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Le plus vieux de chatrang connu, daté
de 760 de notre ère, a été trouvé à Afrasaib, près de
Samarkand in Ouzbekistan, dont il nous reste sept pièces :
le roi, le vizir, le cheval, l’éléphant et deux pions.
à droite, le cavalier d’Afrasaib
à gauche, le rukh sur un vieux
jeu de chatrang |
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Le Livre des échecs, Alphonse
X, 1251-1283 |
* Chez
les Arabes
En conquérant la Perse en
642, les Arabes l’adoptent rapidement et ses règles sont
clairement établies dans un traité d’Al-Sūlī daté de 840.
et le diffusent dans l’espace méditerranéen.
|
 |
* En
Espagne
Sa première mention en Europe
se situe en Catalogne vers 1020. Alphonse X, le roi de
Tolède, y consacrera une beau chapitre dans son Libro de
los juegos ou « Livre des jeux », d’ailleurs
soustitré libro de ajedrez, dados y tablas, ou « Livre
des jeux, dés et tables », édité vers 1260.
Le Livre des échecs, Alphonse
X, 1251-1283 |
2. En Europe, les
échecs deviennent un jeu de cour
Parvenu en Europe, le jeu se
modifier pour trouver sa forme actuelle au
xve
siècle. Le principal
indice de cette transformation peut être vu dans la
transformation du
الفرزان
/ al-firzān
=
« le ministre »
arabe en dame.
Le mot lui-même y est pour quelque chose : il était facile
de confondre
fierge, qui était
l'emprunt du mot arabe avec vierge,
et de passer à dame. Mais cela n’était possible que
par ce que de jeu guerrier qu'il était au départ, le
jeu était devenu jeu courtois.
C’est sous cette forme qu’il
se répandit au Moyen-Âge dans toute l’Europe, chaque pays
adaptant les noms inconnus à la compréhension qu’il en avait
ou leur donnant ceux des objets qu’il croyait deviner.
* C’est ainsi que les
rochs deviennent des tours, mais l’opération qui
consiste à déplacer la tour s’appelle toujours le roque.
* De leur côté, les
Scandinaves et les Anglais ont vu dans une des formes , t en
anglais, la forme des tours a donné d'idée .
Joueurs d’échecs, manuscrit allemand,
Heidelberg, vers 1320. |
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Le périple des mots du
jeu d’échecs
1. Du sanskrit à
l’arabe
sanscrit
|
moyen
perse
|
persan moderne
|
arabe
|
=
« 4 corps d’armée
»
|
čatrang
|
شطرنگ
šaðrang
/
شطرنج
šaðranj
|
الشطرنج
al-šaðranj
|
राजन्
rājan
= « roi »
|
šāh
= « roi »
|
شاه
šāh
= « le roi »
|
الشاه
al-šāh
=
« le roi »
|
मन्त्रिन्
mantrin
=
«
conseiller, ministre
»
|
wuzurg
=
«
ministre
»
|
فرزين
firzīn >
وزير
wazīr
=
« ministre »
|
الفرزان
al-firzān
>
وزير
wazīr
=
« le ministre »
|
हस्तिन्
hastin
= « éléphant »
|
pīl
= « éléphant »
|
پيل
pīl >
فيل
fīl
=
« éléphant
»
|
الفيل
al-fīl
=
« l’élephant
»
|
रथि्
ratha
=
«
char de guerre »
नौ॰क
naukā
= «
barque
»
|
rah
,
= «
char »
madayar
=
«
coursier
»
|
رخّ
roËË
|
ar. : الرخّ al-ruËË
|
अश्व
aśva
= «
cheval »
|
pFA asp
= «
cheval »
|
اسپ
asp
= «
cheval »
|
الفرس
al-faras
= «
le cheval »
|
पदातिन्
padātin
=
« piéton,
fantassin »
|
payādag
=
«
fantassin »
|
بياده
piyādeh
= «
fantassin »
|
البيداق
al-baydāq
= «
le fantassin »
|
2.
De l’arabe au français
arabe
|
latin
|
ancien
français
|
français
|
الشطرنج
al-šaðranj
|
ascaci
|
eschecs
|
échecs
|
الشاه
al-šāh
=
« le roi »
|
rex
|
roi
|
roi
|
الفرزان
al-firzān
=
« le ministre »
|
ferzia, domina
|
fierge
|
dame
|
الفيل
al-fīl
=
« l’élephant
»
|
alphiles
|
aufin, alfin
|
fou
|
ar. : الرخّ al-ruË
=
« l’oiseau
roch
»
|
rochus
|
roc, roch
|
tour
|
الفرس
al-faras
= «
le cheval »
|
equus |
cavalier
|
cavalier
|
البيداق
al-baydāq
= «
le fantassin »
|
pedes
|
peon
|
pion
|
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