COMMENTAIRE
Ce petit texte, extrait
de la thèse principale de Jean Cantineau, bien que récolté dans un but
linguistique, n’en présente pas moins un caractère ethnographique
certain. C’est cet aspect que nous nous proposons d’analyser ici.
1 – Un des points controversés par
les auteurs est le caractère comestible des fruits des pistachiers
sauvages. Dans ce texte où l’huile de ces fruits est présentée comme
un substitut à l’huile d’olive, son caractère alimentaire est
implicitement affirmé. L’olivier est cultivé à Palmyre, dans un but
commercial avec Homs et pour la consommation locale d’olives (texte
XXXI, l’agriculture à Palmyre)
2 – De quel pistachier sauvage
s’agit-il ? Celui qui pousse dans les montagnes énumérées ici :
-
ǧabāl
Bil‘as,(nord ouest de Palmyre – carte 1036 m)
-
ǧabāl
Šâ‘er,(nord-ouest de Palmyre – carte 1273 m)
-
ǧabāl
El-Mrê, ( nord-ouest de Palmyre – carte
ǧabāl
al-mrāḥ)
-
ǧabāl
Abu Ṯummên,
-
ǧabāl
Abu Riǧmên.(nord
de Palmyre – carte ǧabāl
abū riǧmīn
1387 m)
Or P. Mouterde (Nouvelle flore de
Syrie et du Liban ) indique la présence de Pistacia mutica
Fisch. et Mey. dans la steppe syrienne à huit endroits :
-
ǧabal
Abiaḍ :
Massif peu élevé au nord / nord-est de Palmyre.
-
ǧabal
Muqeibra : Nord-ouest de Souḫné,
à 1114m (identique à
ǧabal
Qala‘at Mqaibara ?)
-
ǧabal
Bil’as : Est de Selemiyé, Nord-est de Qaryatein
-
Heneimé
-
‘Aîn el-‘Ū‘al : Source entre Qaryatein et ‘Aîn el Baiḍa,
au sud de la piste directe.
-
ǧabal
Mawrayda : : avancée nord-est du
ǧabal
Bil‘as au sud d’Ezriyé (Eḏriyé ?)
-
Bir el-Ūachal : nord de Palmyre, Sud-ouest de Birnayfis, nord
de Palmyre.
-
Palmyre (restes d’arbres abattus)
Les noms de lieux ne se superposent
pas complètement, mais les indications convergent vers les montagnes
au nord de Palmyre.
Nous pouvons en conclure qu’il s’agit
bien de Pistacia mutica, sous-espèce de Pistacia
atlantica Desf. Mouterde le décrit comme un arbre pouvant
atteindre 15m. Ceci est bien en accord avec le texte « Quand la
besace est remplie, on descend à terre, ….. »
3 – Cueillette des fruits :
Les fruits sont des
drupes de 5 à 6 mm, se présentant en grappe. À maturité, l’enveloppe
est rouge (comme P. vera) et l’amande est verte. Pour
comprendre le traitement d’élimination de la pulpe rouge, il faut
admettre soit que la coquille est très mince et reste avec l’amande
au broyage, soit que le fruit s’est ouvert (déhiscent) et laisse
sortir l’amande, alors que la coquille reste attachée à la pulpe et
pars avec la grappe. La troisième possibilité est que la coquille
n’existe pas.
Aucune description des
flores ne va dans ce degré de précision pour répondre à cette
question.
4 – Terminologie:
Le terme BoṬ°M
(collectif) et BoṬMa
(singulier) est utilisé indifféremment pour l’arbre ou le fruit et
l’auteur traduit par « térébinthe » ou « fruit du térébinthe »
suivant le contexte.
Dans le processus d’élaboration de
l’huile, il faudra attendre la mouture pour avoir « BoṬ°M
el MaṬûn »
et la fin « ZêT mn el BoṬ°M »
pour avoir une différentiation entre l’arbre et ses produits
5 – Technique :
L’extraction de l’huile
se fait par une technique sommaire différente de celle de l’huile
d’olive. En effet au lieu de triturer les olives, le traitement
équivalent pour ces amandes séchées est de les moudre, puisqu’il n’y
a pas de noyau. Contrairement aux olives qui contiennent de l’eau,
les amandes séchées n’ont pas suffisamment d’eau pour opérer la
séparation de l’huile de la pulpe. Cette eau est apportée , très
chaude pour fluidifier l’huile et lui permettre de s’écouler. Ce que
le traducteur appelle « bâche », poche tressée avec des fibres de
feuille de palmier est très proche des « scouffins » -« sac de jonc
à deux ouvertures dans lequel on renferme les olives avant de les
mettre sous le pressoir, et lorsqu’elles ont été triturées » –
Marcel Lachiver – Dictionnaire du monde rural – Fayard 1997 – page
1520. Nous le rapprochons du verbe patoisant ou argotique ignoré des
dictionnaires, « escoufiner » qui signifie presser jusqu’à
l’étouffement.
On trouve également le
terme « escortin » s.m. En Provence, couffin dans lequel on
entasse la pâte des olives pour la mettre sous le pressoir » page
726
Cette technique est très proche de
l’extraction de l’huile d’argan au sud Maroc.(Jamal Belakhdar, La
pharmacopée marocaine traditionnelle – Ibis press 1997 – page 486
article 476).
Pour celle-ci, les amandes sont
grillées, ce qui n’est pas relevé pour les pistaches sauvages de
notre texte.
Makbūse :
De la racine KBS, sens 5 de Kazimirski II page 854, « farcir,
remplir, bourrer ». il s’agit bien dans le texte d’une poche
végétale qui est bourrée de pulpe avant d’être pressée.
Ma‘ṣāra :
de la racine ‘ṢR,
sens 1 de Kazimirski II page 270, « Presser avec les doigts, fouler
avec les pieds le raisin, ou un fruit, etc., pour en exprimer le
suc ». Il s’agit ici du lieu ou le pressage est fait et
l’instrument : pressoir, double sens comme en français.
6 – Vérification : La traduction
« amande » correspond bien au « cœur »du fruit (qalb) et il n’y a
pas de possibilité de confusion avec le fruit de Prunus
amygdalus.(polysémie d’ « amande » en français)
7 – Autres considérations :
Dans son étude sur le
térébinthe (On trees, mountains and millstones in the ancient Near
East, p. 14),M. Stohl évoque la possibilité d’adjonction de
pistaches sauvages moulues dans le pain comme complément à la farine
de blé (citant A. Musil, The manners and the customs of the Rwala
Bedouins, 1928, p. 95). Compte tenu de l’existence de cette pratique
ordinaire jusqu’à une date récente : récolte et broyage des
pistaches sauvages pour faire de la farine, les graines vertes,
comme elles sont appelées se trouve automatiquement dans la
catégorie « apparentée aux céréales ». En outre, dans ces farines de
secours il faudrait ranger celles produites à partir de cenelle,
fruit de l’aubépine (Crataegus sp.) ou de glands (Quercus
sp.), voire même de caroubes (Ceratonia siliqua L.).
Ceci permet de mieux comprendre pourquoi « butumtu » du CAD est
considéré aussi comme une « céréale »
Un bosquet de pistachier existait à
proximité du mazar Moḫammad
ebn ‘Ali (p. 88) et a été détruit au cours de représailles tribales
(p. 87) des Šammar contre les Bane l-Qiyyem
L’huile est utilisée pour
les lampes du mazar (p. 91).
Philippe Boutrolle, Paris, le
12/01/2009.
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