MATÉRIAUX DE RECHERCHE

 

 

L’huile du pistachier sauvage

 

  Dernière mise à jour le 24/01/2009

 AU SOMMAIRE DE CETTE PAGE :

 
* Extrait de Jean Cantineau, Le dialecte arabe de Palmyre

* Commentaire

 

 

 

Fiche établie par Philippe Boutrolle, Paris, le 12/01/2009.

Pistacia mutica

 

TEXTE DE JEAN CANTINEAU

 

« À Palmyre, on ne fait pas d’huile d’olive, mais seulement de l’huile de térébinthe.

            L’été, quand le fruit du térébinthe est mûr et qu'il devient vert, tous les gens du village s'en vont à la montagne où il y a des térébinthes : le Bil‘âs, le Châ‘er, le Mrê, Abu Tummêwn, Abu Ricmwen, telles sont les montagnes où il y a des térébinthes. On cueille les fruits de térébinthes avec des besaces, c’est-à-dire un sac, à l’ouverture duquel il y a un cerceau de bois : on y attache une corde de chaque côté, et on le suspend au cou, par-devant ; on cueille les grappes avec la main, et celles qui ne sont pas à portée de la main, on les attire jusqu’à soi avec la canne. On cueille ainsi et l'on met (les grappes) dans la besace ».

(Pour la position des montagnes indiquées ci-dessus, voir MUSIL, Map of Northern Arabia, b-c, 7, 8, 9)

 « Quand la besace est remplie, on descend à terre, on secoue les fruits et on les frotte dans les mains : le vert tombe dans la besace et le rouge reste sur les grappes ; on jette les grappes, et l’on continue à cueillir jusqu'à ce que les bêtes soient chargées. On revient au village, et l’on continue à aller cueillir jusqu'à ce que tous les térébinthes soient terminés ».

 

«Quand on revient des térébinthes, on fait sécher les fruits sur les terrasses ; quand ils sont secs, on les lave, c’est-à-dire qu'on apporte un bassin, on y met de l’eau, on apporte les fruits, et on les met dans le bassin où il y a de l’eau. Les fruits rouges et vides, dans lesquels il n'y a pas d'amande, surnagent à la surface de l’eau : on les enlève et on les jette. Les fruits verts demeurent dans l’eau ; on les enlève de l’eau et on les fait sécher. Quand ils sont secs, on les moud au moulin.

Le moulin à huile est comme le moulin à farine, mais il n'a pas de pivot, et le godet de la meule inférieure est en bois. Ce sont les femmes qui moulent les fruits de térébinthe ».

 

« Quand les femmes ont terminé la farine, au matin on apporte de l’eau, on remplit un chaudron d'eau, et on le met sur le fourneau. Puis on apporte des bassines, et on y met la pulpe, autrement dit la farine de fruits de térébinthe. Quand le jour avance (entre le matin et midi) on allume du feu sous le chaudron, jusqu'à ce que l’eau bouille. On fait venir les femmes pour qu'elles pétrissent, et chaque femme pétrit dans une bassine, tandis que l’homme apporte de l’eau du chaudron, et en met un peu dans chaque bassine pendant que les femmes pétrissent. Et elles continuent à pétrir et l'homme à leur verser de l’eau très chaude, jusqu'à ce que la pulpe soit cuite, et qu'il y ait de l’huile dedans. Alors on l’enlève et on la verse dans la bâche jusqu'à ce que toute la pulpe soit épuisée - et l’homme pétrit dans la bâche avec la main ».

 

 « La bâche est posée sur le pressoir ; elle est formée de feuilles de palmier que l’on tresse ensemble et une femme qui sait coudre l’a cousue et y a ménagé une petite ouverture, — et l'on verse dedans la pulpe.

II y a de grandes bâches qui contiennent douze boisseaux, et il y en a de plus petites. Le pressoir est une pierre dans laquelle est creusée une auge, et autour de laquelle on a bâti. On met des morceaux de bois au-dessus de 1’auge, et la bâche au-dessus des morceaux de bois. Après qu'on a rempli la bâche de pulpe, on la brasse : si l’auge est petite, on en fait sortir l’huile avant de mettre les pierres sur la bâche avec les bassines : l’huile se met à sortir, et quand on a fait sortir l’huile de l’auge, on nivelle soigneusement la bâche, et l’on a une grosse pierre qu’on met au-dessus de la bâche ; dessus on met (encore) des pierres de façon à ce que la bâche soit bien pressée et que l’huile sorte.

La pierre reste sur la bâche jusqu'au lendemain avant midi. Alors on enlève la pierre de la bâche, et l’on soulève la bâche; puis on fait sortir l’huile de l’auge. On vide la pulpe de la bâche, on l’étend au soleil jusqu'à ce qu'elle soit sèche, et l’on en nourrit les bêtes de somme. C'est ainsi qu'on prépare l’huile de térébinthe ».

 

J. Cantineau, Jean, Le dialecte arabe de Palmyre, Beyrouth : s.éd., 1935, XLVII. L’huile, pages 41-46.

 

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COMMENTAIRE

 

Ce petit texte, extrait de la thèse principale de Jean Cantineau, bien que récolté dans un but linguistique, n’en présente pas moins un caractère ethnographique certain. C’est cet aspect que nous nous proposons d’analyser ici.

 

1 – Un des points controversés par les auteurs est le caractère comestible des fruits des pistachiers sauvages. Dans ce texte où l’huile de ces fruits est présentée comme un substitut à l’huile d’olive, son caractère alimentaire est implicitement affirmé. L’olivier est cultivé à Palmyre, dans un but commercial avec Homs et pour la consommation locale d’olives (texte XXXI, l’agriculture à Palmyre)

 

2 – De quel pistachier sauvage s’agit-il ? Celui qui pousse dans les montagnes énumérées ici :

        ǧabāl Bil‘as,(nord ouest de Palmyre – carte 1036 m)

-          ǧabāl Šâ‘er,(nord-ouest de Palmyre – carte 1273 m)

-          ǧabāl El-Mrê, ( nord-ouest de Palmyre – carte ǧabāl al-mrā)

-          ǧabāl Abu ummên,

-          ǧabāl Abu Riǧmên.(nord de Palmyre – carte ǧabāl abū riǧmīn 1387 m)

 

Or P. Mouterde (Nouvelle flore de Syrie et du Liban ) indique la présence de Pistacia mutica Fisch. et Mey. dans la steppe syrienne à huit endroits :

-          ǧabal Abia : Massif peu élevé au nord / nord-est de Palmyre.

-          ǧabal Muqeibra : Nord-ouest de Souné, à 1114m (identique à ǧabal Qala‘at Mqaibara ?)

-          ǧabal Bil’as : Est de Selemiyé, Nord-est de Qaryatein

-          Heneimé

-          ‘Aîn el-‘Ū‘al : Source entre Qaryatein et ‘Aîn el Baia, au sud de la piste directe.

-          ǧabal Mawrayda : : avancée nord-est du ǧabal Bil‘as au sud d’Ezriyé (Eriyé ?)

-          Bir el-Ūachal : nord de Palmyre, Sud-ouest de Birnayfis, nord de Palmyre.

-          Palmyre (restes d’arbres abattus)

Les noms de lieux ne se superposent pas complètement, mais les indications convergent vers les montagnes au nord de Palmyre.

Nous pouvons en conclure qu’il s’agit bien de Pistacia mutica, sous-espèce de Pistacia atlantica Desf. Mouterde le décrit comme un arbre pouvant atteindre 15m. Ceci est bien en accord avec le texte « Quand la besace est remplie, on descend à terre, ….. »

 

3 – Cueillette des fruits :

Les fruits sont des drupes de 5 à 6 mm, se présentant en grappe. À maturité, l’enveloppe est rouge (comme P. vera) et l’amande est verte. Pour comprendre le traitement d’élimination de la pulpe rouge, il faut admettre soit que la coquille est très mince et reste avec l’amande au broyage, soit que le fruit s’est ouvert (déhiscent) et laisse sortir l’amande, alors que la coquille reste attachée à la pulpe et pars avec la grappe. La troisième possibilité est que la coquille n’existe pas.

Aucune description des flores ne va dans ce degré de précision pour répondre à cette question.

 

4 – Terminologie:

Le terme Bo°M (collectif) et BoMa (singulier) est utilisé indifféremment pour l’arbre ou le fruit et l’auteur traduit par « térébinthe » ou « fruit du térébinthe » suivant le contexte.

Dans le processus d’élaboration de l’huile, il faudra attendre la mouture pour avoir « Bo°M el Maûn » et la fin « ZêT mn el Bo°M » pour avoir une différentiation entre l’arbre et ses produits

 

5 – Technique :

L’extraction de l’huile se fait par une technique sommaire différente de celle de l’huile d’olive. En effet au lieu de triturer les olives, le traitement équivalent pour ces amandes séchées est de les moudre, puisqu’il n’y a pas de noyau. Contrairement aux olives qui contiennent de l’eau, les amandes séchées n’ont pas suffisamment d’eau pour opérer la séparation de l’huile de la pulpe. Cette eau est apportée , très chaude pour fluidifier l’huile et lui permettre de s’écouler. Ce que le traducteur appelle « bâche », poche tressée avec des fibres de feuille de palmier est très proche des « scouffins » -«  sac de jonc à deux ouvertures dans lequel on renferme les olives avant de les mettre sous le pressoir, et lorsqu’elles ont été triturées » – Marcel Lachiver – Dictionnaire du monde rural – Fayard 1997 – page 1520. Nous le rapprochons du verbe patoisant ou argotique ignoré des dictionnaires, « escoufiner » qui signifie presser jusqu’à l’étouffement.

On trouve également le terme « escortin » s.m. En Provence, couffin dans lequel on entasse la pâte des olives pour la mettre sous le pressoir » page 726

Cette technique est très proche de l’extraction de l’huile d’argan au sud Maroc.(Jamal Belakhdar, La pharmacopée marocaine traditionnelle – Ibis press  1997 – page 486 article 476).

Pour celle-ci, les amandes sont grillées, ce qui n’est pas relevé pour les pistaches sauvages de notre texte.

Makbūse : De la racine KBS, sens 5 de Kazimirski II page 854, « farcir, remplir, bourrer ». il s’agit bien dans le texte d’une poche végétale qui est bourrée de pulpe avant d’être pressée.

Ma‘āra : de la racine ‘R, sens 1 de Kazimirski II page 270, «  Presser avec les doigts, fouler avec les pieds le raisin, ou un fruit, etc., pour en exprimer le suc ». Il s’agit ici du lieu ou le pressage est fait et l’instrument : pressoir, double sens comme en français.

 

6 – Vérification : La traduction « amande » correspond bien au « cœur »du fruit (qalb) et il n’y a pas de possibilité de confusion avec le fruit de Prunus amygdalus.(polysémie d’ « amande » en français)

 

7 – Autres considérations :

Dans son étude sur le térébinthe (On trees, mountains and millstones in the ancient Near East, p. 14),M.  Stohl évoque la possibilité d’adjonction de pistaches sauvages moulues dans le pain comme complément à la farine de blé (citant A. Musil, The manners and the customs of the Rwala Bedouins, 1928, p. 95). Compte tenu de l’existence de cette pratique ordinaire jusqu’à une date récente : récolte et broyage des pistaches sauvages pour faire de la farine, les graines vertes, comme elles sont appelées se trouve automatiquement dans la catégorie « apparentée aux céréales ». En outre, dans ces farines de secours il faudrait ranger celles produites à partir de cenelle, fruit de l’aubépine (Crataegus sp.) ou de glands (Quercus sp.), voire même de caroubes (Ceratonia siliqua L.). Ceci permet de mieux comprendre pourquoi « butumtu » du CAD est considéré aussi comme une « céréale »

Un bosquet de pistachier existait à proximité du mazar Moammad ebn ‘Ali (p. 88) et a été détruit au cours de représailles tribales (p. 87) des Šammar contre les Bane l-Qiyyem

L’huile est utilisée pour les lampes du mazar (p. 91).

Philippe Boutrolle, Paris, le 12/01/2009.

 

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